Chapitre 26
Nous étions tous au lit quand nous entendîmes du bruit au bas de la maison. Plusieurs hommes montaient l’escalier ; ils s’arrêtèrent au deuxième étage et sonnèrent. Comme personne ne venait ouvrir, ils se mirent à marteler la porte avec leurs poings en criant :
— Police, ouvrez !
Rien ne bougea dans l’appartement des Schneider. Papa et Maman enfilèrent un manteau et allèrent dans le couloir. Je les suivis. Ils écoutaient, tremblants, derrière la porte.
Nous entendîmes M. Resch qui criait d’en bas :
— Un instant, s’il vous plaît, ne défoncez pas la porte. J’ai une deuxième clef ; je vais vous ouvrir.
Il se hissa le long de la rampe en soufflant.
— Le cochon ! dit Papa.
Au-dessus de nous, on venait d’ouvrir la porte ; elle se rabattit avec un craquement. On cria : « Haut les mains », puis ce fut le silence, mais des pas lourds résonnaient sur nos têtes.
Papa ordonna : « Sortons. » Nous nous postâmes tous trois sur le palier. Bientôt, le premier des policiers apparut ; il portait une casquette et un loden.
— Filez, nous lança-t-il en plein visage.
Papa saisit Maman par le bras et nous restâmes.
Le rabbin suivait ; on lui avait passé les menottes. Un homme, encore jeune, qui le tenait enchaîné, nous sourit au passage. Le rabbin regarda Papa, me regarda et baissa la tête.
M. Schneider descendit le dernier ; il était escorté d’un petit homme en culotte de cheval, qui le tenait soigneusement par les menottes. En apercevant Papa, M. Schneider dit à haute voix :
— Vous aviez raison…
Il tituba sous le coup de poing que le petit homme lui assena sur la bouche et se tut ; du sang coulait de sa lèvre inférieure ; il nous regarda tous encore une fois, puis, résigné, haussa les épaules et se laissa entraîner par le petit homme.
Là-haut, on fermait la porte à clef.
— Il en manque un, glapit M. Resch, vous en avez oublié un.
— Ta gueule ! ordonna une voix claire. Et un homme svelte descendit l’escalier en courant ; il avait à la main un dossier rouge. En nous voyant sur le palier, il pointa le doigt en direction de notre porte :
— Vous, disparaissez ! nous dit-il impérieusement.
Quand tout fut terminé, M. Resch, haletant, descendit enfin. Il était en tenue de nuit. Il se frotta les mains tout souriant et dit à Papa :
— Nous voilà débarrassés de locataires importuns ; et par-dessus le marché, nous avons capturé un bel oiseau.
Papa lui tourna le dos sans répondre, nous poussa dans l’appartement et lança la porte derrière lui à toute volée ; les vitres en tremblèrent.